Le Fleuve Tendre de Jean Morzadec

C’est une série de photographies 5184 × 3456 px réalisées à la demande de Jean Morzadec pour son livre-album Le Fleuve Tendre sur le thème de la consolation.

Le contexte de cette création a été pour moi extrêmement marquant. J’ai fait connaissance de Jean en 2012, à Paris, durant une période très délicate de ma vie, après le décès inopiné de ma mère. En regardant en arrière, je vois qu’il m’a transmis trois choses essentielles pour mes décennies à venir. L’amour pour la psychologie analytique Jungienne, le Yi-Jing et la musique de Jean Musy, avec lequel il rêvait de réaliser un album.

Jean était avant tout un homme de radio, mais il désirait aussi chanter ses propres chansons après de longues années d’écoute de la musique des autres. Un jour, lors d’une soirée amicale, il avait formulé son souhait de façon assez urgente, et, spontanément, je me suis proposée pour l’aider à le réaliser. Le spectacle de chant Le Fleuve Tendre est né ainsi.

Dans la pratique, Jean était assez rebelle et ne faisait que ce qui lui plaisait sur scène, ce qui bien-sûr mettait à l’épreuve mon orgueil de jeune metteuse en scène. Mais le résultat fut au rendez-vous. Pas loin du Pont-Neuf, au théâtre de Nesle, l’esprit atemporel de consolation s’est bien manifesté durant sa performance à fleur de peau, accompagné de deux musiciens classiques, Alceo Passeo et Chloé Boyaud. Nous avons pu assister à l’éclosion d’un rêve d’enfant, riche, dense, ailé, tourbillonnant… 

À cette période de ma vie, je ne savais plus vraiment comment continuer mon chemin d’artiste, et quand Jean m’avait demandé de réaliser une série de photos pour son album, celui avec des arrangements de Jean Musy et de Claude Samard, j’ai décidé de fixer sur la pellicule mon errance coutumière dans le cœur historique de Paris, comme l’on fixe les pas d’une marche rituelle. Cette série est donc à la fois empreinte du sentiment de détachement, et de la préfiguration du sens nouveau qu’allait prendre ma vie.

À cette même période mon Inconscient était pris par la découverte de l’archétype de la Vierge Noire, et je passais le plus clair de mon temps autour de Notre Dame, au bord du fleuve, comme au bord de ma propre mélancolie. Par chance, ce Paris-là, comme Parisis, s’est dévoilé à moi avec son sens alchimique et symbolique, puis peu à peu, mon attachement presque excessif à ces lieux est devenu intelligible. Cela m’est devenu évident que ces lieux historiques du culte païen de la grande déesse incarnaient pour moi la quête du féminin sacré, et les étapes de la transformation intérieure qui sont inscrits jusque dans les pierres de la cathédrale, me donnaient sans doute cette impression d’un dialogue spontané avec la ville et ses strates du temps. Ainsi, la sensation de la solidité que j’embrassais à chaque fois lorsque je sentais le chaos s’approcher de mon cœur, avant et après les deuils, les guerres, les déceptions, était en vérité mon cercle de protection magique, mon sens de l’harmonie et de l’appartenance à quelque chose de plus grand, qui se manifestait dans mes circumambulations photographiques.

Jean avait aimé le résultat, il en a choisi quelques-unes, qui ne sont pas présentées ici, et m’a gratifié de sa reconnaissance. Mais curieusement, il ne m’a jamais vraiment posé la question-leitmotiv de son ouvrage. Peut-être voyait-il déjà, bien avant moi-même, que j’étais au centre de cette consolation qui se trouvait-là, sous mes yeux, et dont je conserve toujours les empreintes, en guise de révélation.